On a beau chatouiller Alain Ducasse sur la froideur de sa technicité, ses dribbles effectués le buste droit, ses slogans en Inox, sa façon de mettre la gastronomie à sa botte, il faut tout de même lui reconnaître le goût du risque, son inépuisable quête. C’est une sorte de maladie chez lui. Continuer à avancer, défoncer les portes ouvertes et se persuader d’un monde dont il serait le centre. Pour ceux qui suivent ses tables, c’est épatant. Chacune correspond à un épisode de l’histoire de la gastronomie, on retrouve dans sa cuisine les courants qui sillonnent les continents, ses paradoxes et ses égarements. Son « sourcing » est bien fichu. Il voyage suffisamment pour savoir comment le monde tourne. Il infuse, « photoshope », revisite, glane et restitue ses impressions, ses hantises. Alain Ducasse est traversé par les nourritures. En rouvrant, en association avec le patron de GL Events, Olivier Ginon, au Palais Brongniart, place de la Bourse à Paris, son Spoon mis en sommeil pendant quelques années, le chef repart à l’assaut avec une carte savante, tapant un peu partout (Chine, Japon, Tahiti, Maghreb, Brésil…). Comme un collectionneur de timbres, il nous ouvre ses albums. Il donne sa séance de diapositives à un public avide de fairetamponner son passeport aux tables du moment. Est-ce bon ? Bien sûr que oui, le cabillaud au lait de coco mangue sucré-salé ne manque pas de charme. Les brochettes de saint-jacques au citron-wakamé ont du chien, comme la dorade crue-piment-poivre-gingembre (quoiqu’un peu riquiqui : un ramequin pour 12 euros). Comme s’il avait devancé le reproche que l’on pouvait faire à cette démonstration manquant d’empathie et de sensualité, une bande-son aux petits oignons (El Rey De Francia– Qod Niltou Hibbi ou Mahmoud Ahmed) apporte une dimension touchante, sentimentale, creusant plus encore cet étrange fossé qui sépare l’esprit de l’assiette.
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